Méthodologie - Methodology

Compter des oiseaux – Counting birds

Les recensements de faune s’opèrent de manière différente selon l’espèce visée. On essaye d’exploiter par exemple les spécificités de comportement pour trouver la meilleure manière de compter pour chacun. Pour une espèce qui vit la nuit, dans des endroits reculés et qui base sa survie sur sa capacité à se dissimuler, la traque n’est pas évidente pour le zoologue… Mais il y a une catégorie d’animaux qui ne se cache pas du tout, bien au contraire : les oiseaux. À partir du moment où ils chantent, ils sont relativement faciles à pister. Et les études le prouvent, si la population d’oiseaux d’un écosystème se porte bien, il y a tout à parier pour que les autres espèces soient bien présentes aussi. On peut donc espérer qu’un suivi des oiseaux d’une région donne des résultats représentatifs de l’état de toute la biodiversité.

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Bulletin d’information AVES – Newsletter AVES

Partout dans le monde, les associations d’ornithologues professionnels et amateurs s’organisent pour effectuer des décomptes annuels. En Belgique, c’est AVES (branche de Natagora, et de l’association internationale BirdLife) qui collecte les observations ornithologiques depuis cinquante ans. Au niveau européen, les associations nationales coopèrent au sein de l’European Bird Census Council (EBCC), qui a d’ailleurs édité un manuel du recensement d’oiseaux à l’usage des associations nationales.

En pratique, au printemps, chaque ornithologue visite une liste d’endroits clés (points de comptage ou stations de comptage) définis dans sa région. Il y passe quelques minutes et compte tout ce qu’il entend ou voit, puis transmet ses observations à sa centrale. Les stations de comptage sont choisies pour satisfaire un schéma statistique qui permettra d’extrapoler les résultats locaux à une région entière.

Ces données ornithologiques, comparées d’année en année, constituent un outil critique de suivi de la biodiversité. L’effort consenti est conséquent : il faut recruter, former, motiver les ornithologues à participer dans un contexte de sous-financement. Au niveau scientifique, les difficultés existent aussi : tous les ornithologues n’ont pas le même degré d’expertise ni ne commencent à compter la même année, ce qui induit une marge d’erreur sur les données.

Mais le plus grand frein à l’obtention d’un décompte absolu est le problème de la détectabilité. Tous les oiseaux ne chantent pas ; en général, les chanteurs sont les mâles en recherche d’une partenaire. Ils chantent à un moment précis de la journée, après l’aube et jusque dans la matinée, et à une période de l’année très limitée dans le temps, le printemps dans la plupart des cas. La période exacte varie avec les fluctuations climatiques (retours de migration prématurés avec le réchauffement). En cas de printemps pourri (2013…), ils abandonnent leurs rituels de séduction pour se consacrer plutôt à la recherche de nourriture. Le reste du temps, leurs vocalises sont essentiellement des cris fonctionnels (signal d’alarme).Et quand ils se taisent, ils ne sont pas toujours visibles pour l’ornithologue.

Recensement en France avec la LPO - Bird count in France with LPO

Recensement en France avec la LPO – Bird count in France with LPO

Le nœud du problème est donc d’estimer la détectabilité : la proportion d’une population que l’on peut raisonnablement détecter avec des décomptes basés sur l’audition et la vue, dans un habitat particulier, pour une espèce particulière. Quand la détectabilité est estimée, on peut déduire du décompte obtenu sur le terrain les chiffres probables de la population totale. Des techniques existent (cf. le manuel de l’EBCC) mais on peut néanmoins avancer que de manière générale, les décomptes d’oiseaux fournissent des données essentiellement relatives. Elles restent bien sûr révélatrices et l’EBCC recommande simplement, quelles que soient les imperfections de la méthode choisie, de compter à tout prix, car l’existence de données imparfaites vaut toujours mieux que l’absence de données. Et qui sait la valeur que ces chiffres auront pour de futurs analystes, mieux équipés que nous ?

Bien sûr, il faut analyser les données avec discernement ; par exemple, si en 2014 le printemps est clément et qu’on observe une remontée des indicateurs, cela ne signifiera pas forcément qu’il y a plus d’oiseaux, mais peut-être qu’ils sont plus nombreux à avoir l’énergie de chanter.

Les recensements ornithologiques ont permis d’établir que dans les habitats agricoles en Europe, la moitié des oiseaux avaient disparu depuis les années soixante. Les chiffres sont tombés de six cents à trois cents millions.

Dans le cadre du présent projet, nous nous proposons de développer des outils d’aide au comptage ou à la détection automatisée d’oiseaux. Profitant du développement des technologies numériques, notamment les travaux effectués dans le domaine de la reconnaissance vocale ou de l’analyse musicale, il est possible d’envisager des algorithmes qui analyseraient des enregistrements sonores en continu et trieraient les sons identifiés selon les espèces, aboutissant ainsi à une image de la population aviaire d’une région.

On peut bien sûr noter que le problème de la détectabilité ne disparaîtra pas, ni celui de l’effort à investir en activités de terrain pour recueillir les échantillons sonores. Enfin, un algorithme de traitement du signal acoustique ne possède pas d’yeux ni de connaissances contextuelles pour compléter ses observations. La bonne utilisation des algorithmes automatiques est un débat ouvert, mais comme dit l’EBCC : mieux vaut toujours avoir les données.

Cornell University - USA

Cornell University – USA

Qui s’intéresse à ces questions ? De nombreux laboratoires d’acoustique (de bioacoustique), de traitement du signal, de zoologie… à travers le monde. Voici quelques exemples :

  • L’International Bioacoustics Council publie une revue et organise une conférence dédiée tous les deux ans ; les américains publient plutôt dans JASA et les électroniciens restent chez IEEE ;
  • Le projet européen AmiBio se propose de suivre une zone Natura 2000 grecque en utilisant la détection automatique ;
  • Une initiative pour smartphones de l’université du Wisconsin à Madison ;
  • Le même problème existe pour les chants des baleines ; par exemple, le réseau européen ESONET a installé des hydrophones en profondeur dans les mers européennes pour suivre entre autres les populations de cachalots. C’est le laboratoire de bioacoustique de l’université polytechnique de Catalogne qui analyse le signal acoustique, et développe donc les algorithmes de détection des cétacés.

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A fauna census is done differently depending on the species. Specific behaviors of animals can be used to find the most appropriate methodology. For species that live at night, in remote areas and whose survival skills include a lot of hiding, the task of zoologists is arduous. But there is one class of animals which does not hide at all, quite the contrary: birds. Because they sing, they are quite easy to track. And studies show that if the bird population of an ecosystem is healthy, there is every chance for other animals to be present as well. Thus, one can hope that monitoring the birds of a region gives results that are representative of the entire biodiversity.

Everywhere in the world, associations of professional and amateur ornithologists organize to count birds annually. In Belgium, AVES (a branch of Natagora and of the international association BirdLife) has been collecting bird data for fifty years. At the European level, national associations work together within the European Bird Census Council (EBCC), which incidently published a user manual for national associations on how to count birds.

In practice, every spring, each ornithologist visits a list of key places (his counting points or counting stations) in his area. He spends a few minutes there and counts everything he hears or sees, then passes his observations on to his central comittee. The counting stations are chosen so as to satisfy a statistical scheme which will allow extrapolating the local results to a broader region.

Rapport d'activités de Nabu en Allemagne - Activity report by Nabu in Germany

Rapport d’activités de Nabu en Allemagne – Activity report by Nabu in Germany

This ornithological data, compared year to year, provides a critical tool to monitor biodiversity. Yet the effort is significant: ornithologists must be constantly recruited, trained and motivated to participate, all of this with limited financial support from governments. From a scientific point of view, there are also difficulties: not all ornithologists have the same level of expertise nor do they start working the same year, etc., which drives error margins up in the collected data.

But the greatest roadblock to an absolute bird count is the detectability issue. Not all birds sing; in general, the singers are males looking for a partner. They sing at a precise moment of the day, after dawn and throughout the first hours of the morning, and at a specific time of the year, typically spring. The exact time fluctuates with the climate (early returns from migration are observed as the Earth warms up). In case of a cold spring (2013…), they abandon their seduction rituals and focus on finding food instead. The rest of the time, they vocalize for functional reasons (they call to alert). When they remain silent, they might not be seen by ornithologists.

The heart of the problem is thus to estimate detectability, i.e. to estimate the proportion of a population that can be reasonably detected by listening and looking, in a particular habitat and for specific species. When detectability is estimated, one can infer probable population counts from the field data. Methodologies exist for this purpose (see the EBCC user manual) but one can generally state that bird counts are relative data. The data is of course still revealing and EBCC absolutely recommends to keep counting, whatever the imperfections of the chosen methodology, as the existence of imperfect data is preferable over no data. And who knows what value the numbers could have for future researchers with better tools?

Naturally, the data should be commented on with care. For example, if in 2014 the spring weather is fair and all indicators rise back up, this would not necessarily mean that there are more birds, but maybe that more of them have the strength to sing.

Bird counts led to establish that in European farmlands, half the birds disappeared since the sixties. The population went from 600 millions down to 300 millions.

Within the present project, we propose to develop tools to help with the automated count or detection of birds. With recent developments in numerical technologies, such as in the fields of vocal recognition or musical analysis, it becomes possible to envision algorithms which would continuously scrutinize audio recordings and sort the identified sounds according to species, thus leading towards a picture of the bird population of a region.

It goes without saying that the dectectability issue would not go away, neither would the required human effort to gather sound samples in the field. Finally, an algorithm for acoustical signal processing does not possess the eyes or the contextual knowledge that would enhance its deductions. The proper use of automated algorithms is an open question, but as the EBCC says: better have data than no data.

Ile d'Aruba - Aruba island

Ile d’Aruba – Aruba island

So, who is interested in these questions? Many acoustic and bioacoustic labs, signal processing labs, zoology labs… around the world. Here are a few examples:

  • The International Bioacoustics Council publishes a journal and holds a conference every two years; American researchers rather publish in JASA and those from the field of electronics stick to IEEE.
  • The European project AmiBio proposes to monitor a Natura 2000 zone in Greece using automated detection.
  • A smartphone app is being developed at the University of Wisconsin-Madison.
  • The same issue exists for whale songs; for example, the European network ESONET installed hydrophones in deep European waters to monitor sperm whales amongst others. The biacoustics lab of the Polytechnic University of Catalogna analyses the signal and thus develops the detection algorithm for cetaceans.

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